La photo
Si Toto devait se décrire, il n’y arriverait pas. Il préférerait plutôt prendre une photo de lui, en face du miroir, mais Toto n’a pas d’appareil photo, à part celui de son grand-père. C’est un vieil appareil dont il sait à peine se servir, et qu’il a rangé il ne sait où, à la cave sans doute, dans un vieux carton humide rongé par les souris. Pour ses fidèles lecteurs, Toto est prêt à affronter sa peur du noir (car l’ampoule est cassée) et à descendre dans les entrailles malsaines de son immeuble. Il ne vous racontera pas plus ce qui s’est passé là-dessous. Il a trouvé l’appareil et est vite remonté s’enfermer dans sa salle de bain. Il s’est douché longtemps, longtemps, pour enlever les toiles d’araignée et chasser l’odeur de moisi. Sous le jet d’eau chaude, il frissonnait, essayant d’oublier ce qu’il venait de vivre. Il a été obligé de sortir de la douche quand l’eau est devenue trop froide.
Toto a tourné l’étrange appareil photo dans tous les sens. Il restait encore une pellicule à l’intérieur que son grand-père n’avait pas pu finir, à cause de son décès brutal, plus de quinze ans auparavant. Toto régla plus ou moins bien l’ouverture et la vitesse (il se souvint tout de même de quelques petites choses que son grand-père lui avait apprises), se campa en face de son miroir, fit la mise au point, et déclencha. Bien sûr il ne se passa rien, car il n’avait pas armé l’appareil, et bien sûr, en armant l’appareil Toto le dérégla. Il ne s’en rendit compte qu’après avoir pris la photo, voulu en prendre une autre, mais la pellicule était finie.
Il allait devoir retirer le film de l’appareil, mais le système semblait si compliqué que Toto pris sa tête entre ses mains et pleura. S’il s’y prenait mal, la pellicule serait voilée et la photo perdue à tout jamais. Toto se redressa, fier et décidé, et redescendit à la cave, dans le noir absolu de la cave, et là, finalement, tant bien que mal, retira le film de l’appareil. Tout heureux il se rua chez son ami Francis.
Francis faisait de la photo et avait installé chez lui un laboratoire, avec tout ce qu’il fallait pour développer et tirer les photos. (Toto aurait pu lui demander de faire son portrait, mais il n’y pensa pas sur le moment. Il n’y pensa pas plus tard non plus.) Il tendit la pellicule à son ami, mais n’alla pas s’enfermer avec lui dans le labo. Les premières vues du négatif n’étaient pas fameuses. Trop sombres, ou trop claires, floues en général. La dernière n’était pas meilleure, mais Toto insista pour que Francis en fît un tirage afin de pouvoir la montrer aux visiteurs de son blog. Il assista, émerveillé, les larmes aux yeux, à l’apparition de son visage sur le papier.
La photo est ratée, bien sûr, mais Toto est content quand même. Au moins, comme ça, on ne verra pas à quel point il est laid.